La broderie sur blanc m’interpelle par sa subtilité ; un ton sur ton où une différence de texture révèle un dessin à la lumière. En interrogeant la tradition du linge de maison, je découvre un domaine jadis très codifié. Une obsession pour le blanc, l’ornement discret d’une broderie blanche sur drap blanc, la création de petits jours, le matelassage, l’art du boutis, … Il n’y a pas si longtemps, on apprenait aux jeunes filles, futures épouses accomplies, à broder en vue de marquer et chiffrer leur trousseau. La broderie contraint à l’immobilité. A l’âge où en bande les garçons explorent l’espace sauvage, les filles cousent le dos courbé, l’attention retenue par l’ouvrage. Contrainte du corps des femmes, de leur espace et de leur temps, le trousseau est plus encore contrainte de leur devenir. A 7 ou 8 ans, elles s’appliquent à la réalisation de marquette ; sorte d’échantillonnage de chiffres, lettres, frises et motifs qui pourront servir de modèle pour leurs futurs travaux d’aiguille. Si le marquage au point de croix est purement utilitaire et sert à reconnaître son linge lors des lessives communes, la broderie quant à elle est un raffinement ornemental. Une belle broderie témoigne d’une condition sociale aisée parce qu’elle démontre que l’on a fortune et loisirs permettant d’occuper son temps à embellir le linge. J’entretiens un rapport ambivalent avec ces « ouvrages de patience », une sorte de de fascination/répulsion. Admirative de la dextérité, la précision et la patience que requièrent de telles réalisations, je regrette le manque de liberté qui leur été accordé, tout étant millimétré et codifié, suivant des modes et de normes.
Cette année de recherche au tamat m’amène à questionner et à réinvestir cette tradition du marquage du linge. Je démultiplie un monogramme brodé par la sérigraphie, je fais disparaître les marques en les dévorant, je brode les ombres de lettrages inexistants, j’évoque un imaginaire et joue des rapports de plein/vide, transparence/opacité de draps suspendus à la corde à linge.
texte extrait du carnet de recherche R19, page 49, décembre 2019,TAMAT centre de la tapisserie, des arts muraux et des arts du tissu de la fédération Wallonie-Bruxelles, Tournai (BE)